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dix fois rien
5 février 2010

l'orphelinat

Il y a des lieux de mémoires où il n'y a aucun souvenir. Des lieux où on retourne alors qu'on y a fait que passer, à un moment donné de sa vie. Un lieu, un moment comme un point fait au feutre dans la paume de sa main. Comme ce Ganesh de jade que je tiens dans ma main.

Il y a aussi les années qui n'enlèvent rien au lien qui nous lie à ce lieu, à ce moment. Des années où je dansais sur les chansons de Ray Charles à Noël. Les années de cynisme extrême et pointu, à se foutre de la gueule des amoureux, des ados, des potes de classes, des profs, tout en léchant le cul de tout le monde. Les années où j'ai fait ce que je prétendais ne pas savoir faire tout en faisant autre chose: coller des post-it dans des classeurs, réécrire au propre mes notes de cours, boire des bières, tomber amoureux juste, juste avant chaque session d'examens. D'un homme différent à nouveau, garder les précédents pas trop loin de moi comme un témoin, lui prouver ta gueule t'as vu lui, je le regarde mieux que ce que je ne t'ai jamais vu. Des années à penser à New York. A dire plutôt mort que d'aller dans ce pays. Les années n'enlèvent rien au lien, à la chaleur, à la chance, à l'amour confiné entre ces murs. Qui était là ? Où sont-ils? Juste une question comme un couffin posé devant une porte. Que j'ai poussée finalement après toutes ces années, ces heures du matin à ne pas parler.

Et puis à l'étage, trois chambres autour d'un patio. Trois chambres larges et lumineuses comme un fleuve, une forêt, et un cinéma. Il y a quinze ans, ce n'était pas si différent. Les couleurs peut-être diffèrent, la peinture a été refaite. Mon passage d'alors est en noir et blanc. Désert, alors qu'aujourd'hui il y a des enfants qui s'amusent, se battent, font caca sur le pot. S'arrêtent et le regardent. Il y a son rire. Passer comme si de rien. Il y a devient à ce moment-là mon expression favorite, je sais qu'elle est celle qui me permet de forger ce lieu en mémoire. Il y a une barrière au balcon qui s'ouvre sur les plus hautes branches des arbres. Et puis sous mes pieds, il y a le carrelage. Le personnage de mes nuits blanches, de mes angoisses, le lieu de mon chien de fusil. Celui d'Après l'Exil. Les enfants ont recommencé à vivre, ils jouent, ils se bagarrent comme des frères, finissent de faire caca, comme si de rien n'était. Il y a.
Il y avait dans cette cuisine trois sœurs sans religion finalement. Mais avec un poster de Jésus, et des sourires. Et des biscuits. Du café, du thé. Il y a leur âme, et celles qui ont suivi. Ces âmes qui m'ont appris les mémoires multiples, que guerrier est un mot vilain toujours et pour tout, même si c'est un combat que l'on livre. Se démener, se battre, rouler à contre sens, sans devenir un guerrier. Car c'est la mort. Raconter la vie aux soeurs, l'écouter lorsqu'il se raconte. Qui est-il ? Et que fait-il à mes côtés en ce moment ? Je le sais, et me demande si elles le savent pas non plus. Il est là, parce que peu importe qui il serait devenu, j'ai su qu'il saurait être ici, même sans le savoir, ni le chercher. Je suis fier. Et je crois qu'elles le savent. Les murs sont peints en jaune et la nappe collent sous la peau de mes manches relevées. Ici on ne pouvait qu'être bien, protégé pour une vie entière, ajouter cette ligne à mon dossier qui est jaune aussi comme les murs ici.

L'endroit a changé. Ce n'est plus un orphelinat, mais c'est tout pareil. Je remonte seul, j'ouvre la porte d'un sanctuaire vide. D'un temple perdu, ou noyé. Un kinder surprise. Il n'y a que moi. Je remonte, je regarde encore une fois les murs, les marches d'escaliers, les landaus, le carrelage, la barrière, la vue qui est posée en face de ce balcon. J'écoute le bruit de la rue. Je retiens, et puis c'est bon. C'est fini. Partir.

Revenir peut-être.

J'ai envie de rentrer à l'hôtel, peut-être se balader encore dans le quartier. Longer le marché, fumer quelques clopes. Nous marchons, il m'a accompagné. Comme un Ganesh de jade dans la poche d'un jeans.

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