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dix fois rien
27 juin 2011

Ponyhof

Parfois, il vaut mieux ne pas se retourner et sortir du bar comme on y est entré. Partir n'est pas quitter. Ça pourrait être mon tatouage, mon épitaphe.

Alors, je suis sorti trébuchant légèrement l'alcool et l'émotion s'accrochant à mes pas. Je venais de passer une dernière soirée avec cette classe qui était devenu, un peu contre toute attente, ma bouée. Un Saint Bernard calorifère. Une fenêtre sur une autre cour. Il y avait de l'Italie, de la Suisse, de la Tchéquie, de la France, un peu de Suède, de l'Espagne. Un peu d'ailleurs, un peu ensemble surtout. C'était ça qui était important, ensemble. Nous étions en train de nous séparer. Jamais très sérieusement, toujours avec plein de promesses. Partir n'est pas quitter. Berlin, cette ruine était devenue notre île. Du moins, c'est ainsi que je l'interprétais.

Camilla et moi venions de nous prendre dans les bras l'un de l'autre. Et ça me rappelait toute ces petites choses qui font qu'à chaque fois. Qui font que deux personnes, à un moment, dans une certaine ville, dans certaines circonstances, s'éveillent à la curiosité de l'un et de l'autre. Sans même trop parler, sans vraiment chercher ses mots. Jusqu'à se reconnaitre et se comprendre. Jusqu'à se livrer un peu, jusqu'à se préférer seuls, rien que tous les deux le temps d'une après-midi. Nous étions là, dans ce bar rockeur. Et puis, elle m'a dit ce que je n'espérais pas. Je lui ai dit ce que je pouvais. A l'abri de tous les autres. On a partagé simplement une dernière fois nos secrets. Voilà à quoi servent les oreilles aussi.

Il était temps. Un dernier regard au DJ. Partir, comme toujours. Déjà fait ça un million de fois, alors c'est plutôt fastoche. J'ai déjà en tête le mode d'emploi, les rouages, je sais comment gérer. Ach so, il ne reste plus qu'à attrapper un taxi,  ne pas vomir durant la course jusqu'à Schöneberg. Il m'a posé une question, j'ai répondu. On a commencé à se parler, avec le chauffeur, on s'est compris en allemand, ça c'était chouette. En fin de compte, tout ça roulait. Il n'y avait donc plus qu'à se laisser conduire à travers cette ville aux allures pastiche du luxe la nuit. Durant la ballade, j'ai perdu ces quelques larmes sèches de fin de saisons le long d'Alexender Platz. Certaines lignes d'une chanson française sont revenues un peu plus tard au croisement de Friedrichstrasse. La nuit était potable, agréable, vraiment l'été ; le toit de la voiture était ouvert, c'était chouette et je crevais d'envie de m'en allumer une.

Alors que nous traversions le désert acier et verre de Postdamer Platz, revenait me hanter cette phrase que Petra, notre chère Lehrerin, nous avait dit pour nous remonter le moral lors de la dernière leçon. Il vaut mieux quitter la fête à son point culminant. Avant l'aube fatiguée mais opiniâtre dont l'haleine est chargée de trop d'alcool et de trop de Malboro. Avant la sueur sèche, et les paroles effondrées avant qu'on ne les termine. Quitter Berlin à cet instant, cette enclave qui peut-être avait su réunir nos désirs en un seul point, abrité nos rêves et faire valdinguer nos âmes, était donc ce qui nous permettrait de garder intact ce souvenir si précieux, alors que nous pensions bientôt le regretter si vivement.

 

Peut-être.

J'avais des doutes là-dessus. Le regard se posait en biais sur cette petite affaire philosophique.

Non elle avait parfaitement raison. Les chansons les plus belles ne durent que deux ou trois minutes. L'avarice réduit tout en cendres. Elle a raison.

Mais ce soir-là, précisément devant la Neue Nationalgalerie, je voulais ce qu'elle ait tort. Je me suis dit, que peut-être tout ce que je faisais n'était pas une fête. Que je ne vivais pas de saison en saison dans une boite crânienne. Voilà. Que ça pouvait être là, ma chambre d'hôtel, mon port, celui où tout commence. La ville, simplement, avec ses commerces, ses 18 sortes de pq au rayons des supermarchés, la bruit de ses ambulances, son prix de ticket de métro. Son maire, mes voisins, mes amis. Etc. La ville avec ses extraordinaires et ses déprimants. La vie avec son été, son hiver. Ses hauts, ses bas. Les miens.

Ici. Une vie.

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